Blade Runner

Pensées autour du film culte de Ridley Scott

Qu’est-ce qui est le plus beau? Blade Runner ou le souvenir de Blade Runner? La même question pourrait se poser pour tous les films de jeunesse, voire tous les films vus – dans ce cas je parlerais plutôt d’impression laissée, qui vous accompagne depuis la sortie du cinéma ou du salon de vos parents, et va poursuivre une lente maturation, sans que vous vous en rendiez compte, pendant la fin de votre lycée, pendant vos études supérieures et vos premiers émois, et pendant les chaotiques premières années du réel passage à l’âge adulte, depuis la colloc’ dans un rez-de-chaussée parisien jusqu’au premier endroit que vous appelez finalement « chez vous ».

J’ai revu Blade Runner ce soir, « chez moi », à 33 ans. Et je dois dire qu’il ma fallu lutter pour retrouver cette impression dans la version parfaite, HD, restaurée, et ouvertement améliorée/altérée par Monsieur Scott.

Peut-être que rien ne pourra jamais égaler les écoutes répétées du CD de la bande originale avec mon Discman, dans un solarium un soir de pluie alors que j’avais 15 ans. L’univers du film semblait se déployer sans limites dans mon imaginaire, les images ayant tout au plus servi de support.

Revenir à ces images, telles qu’elles étaient ou du moins supposées être dans la « vision du réalisateur », a donc été une expérience assez crue. Ce n’est qu’un film, avec des décors, des figurants, des miniatures, un scénario, des mouvements de caméra. J’ai été incapable d’être envoûté de nouveau, soulevé par ce souvenir d’une vie future et de la mélancolie d’être si seul, si insignifiant et si vulnérable dans une cité sans bornes.

Oui, il reste la B.O. de Vangelis, il reste les bouclettes de Sean Young, en gros plan de profil, qui détache ses cheveux assise au piano. Il subsiste les sons entêtants qui accompagnent les balayages lumineux dans les intérieurs, et enfin l’incroyable humanité de Roy Batty – dont le personnage semble habité d’une sagesse millénaire tout en n’ayant vécu que 4 ans, le temps de vie maximum d’un répliquant.

Pourtant, je ne suis pas sûr de recommander l’expérience à ceux qui comme moi, ont le souvenir d’une copie DVD bruitée, neigeuse, vue sur une TV cathodique (comme les écrans dans le film), dont les imperfections masquaient les défauts, les détails, et laissaient l’imaginaire fabriquer le monde du film. Comme si la meilleure image que l’on pouvait effectivement recevoir du futur était cette image analogique et faiblement définie.

Quand bien même, je ne peux assez remercier Mr Scott d’avoir créé ce monde, pas plus que je ne peux assez féliciter toutes les personnes ayant travaillé sur ce tournage (réputé dantesque) pour donner une existence concrète à cet univers humide, saturé, et pourtant étrangement chaleureux dans sa façon de laisser les êtres conserver leur portion congrue de réconfort (dans un bol de ramen ou un verre de vrai whisky), de souvenirs (implantés ou non, peu importe) ou d’identité culturelle – d’un quartier à l’autre. Dans une Terre arrivée au terme de son existence, l’humanité des êtres naturels ou artificiels renonce à disparaître.

Stills from Blade Runner (1982)

Toutes les images sont © Warner Bros.